Un tambour nommé "Mie de pain"

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Andreï Xamov (Mat. 54830)
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Un tambour nommé "Mie de pain"

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Chapitre I : La Vendée

Né en 1799, il faisait parti de cette multitude d'enfants abandonnés aux portes des églises. Il fut recueilli par un prêtre jureur du prieuré de Saligny, en Vendée. Ce dernier le nomma simplement "Gabriel Saligny" en référence à la ville où il fut trouvé. Ses parents restèrent anonymes. Sans doute n'avaient-ils plus de quoi nourrir une bouche supplémentaire. Sans doutes prirent-ils la décision que beaucoup eurent pris dans la même situation.

Autrefois prospère, la paroisse de Saligny souffrit grandement de la révolution et des colonnes infernales qui déferlèrent sur la région suite au soulèvement de la population Vendéenne contre ceux qu'ils appelaient "lo grands fils de vesse de patauds". La plupart des habitants avaient migré vers les marais, moins prisés par les maraudes et pillages en règle qui eurent lieu durant ces années qui virent la Vendée mise à feu et à sang.
Bien peu nombreux étaient ceux qui se risquaient désormais à rester en ville. Aussi préféraient-ils les petits hameaux discrets, les messes clandestines aux messes officielles proférées par les prêtres jureur ayant prêté serment à la constitution révolutionnaire. Beaucoup avaient abandonnés leurs champs pour vivre d'une terre bonne qu'à une maigre subsistance.

Quoi qu'il en soit, un prêtre jureur n'en restait pas moins très mal accepté en Vendée. Les locaux leur préféraient des prêtres fidèles au roi, fidèles à la tradition, fidèles au pape et au droit divin. Sitôt n'étaient-ils plus protégés par ce que la plupart des vendéens appelaient des "patauds", sitôt qu'ils se trouvaient en proie aux foudres des locaux qui voyaient en eux la principale source de leurs tourments. Les prêtres assermentés s'encombraient donc rarement des orphelins qu'ils préféraient donner à qui voulait bien s'en soucier. D'autant plus que l'Etat offrait 10 francs par mois aux familles prêtes à les accueillir, une aubaine pour Emilia Souilly et son mari.

Elle avait une quarantaine d'années mais en paraissait dix de plus. Le labeur d'une vie dans les champs couplé au soleil mordant n'eurent pas été tendres sur les traits prononcés de cette femme que tous qualifiaient de mégère sans cœur. Certains la surnommaient Milia, du moins quand ils s'adressaient directement à elle. La plupart au village l'appelaient tout bonnement "la vieille garce" car elle ne se montrait bonne qu'avec son mari. Le reste de la populace n'avait droit qu'au mépris et aux jurons qui ponctuaient chacune de ses phrases.
Emilia Souilly ne donna jamais d'enfant à son ivrogne de mari et ce dernier lui en voulait au moins autant qu'il buvait, c'est à dire plus que de raison. Il lui en voulait parfois par des mots crus, parfois par ses poings. Le petit Gabriel Saligny passa donc son enfance à expier cette faute de sa mère adoptive car aussi contre-intuitif que cela puisse paraitre, cette dernière lui en tenait terriblement rigueur. La mégère semblait jalouser une mère inconnue qui lui donna le seul enfant que Dieu, ou les 10 francs de l'Etat, eurent bien voulu lui accorder.

Gabriel passa le plus clair de sa tendre enfance dans les pâturages, où sa famille adoptive l'utilisait comme un chien de berger. Ils n'avaient pas de molosse, mais ils avaient un jouvenceau qu'ils employaient à la même besogne. Ses journées consistaient à garder le troupeau compacte, à veiller à ce qu'aucune bête ne s'égare, à guider les moutons vers l'enclos où passer la nuit et rebelote le lendemain. Il dormait au milieu des ovins et supportait les nuits d'hiver en se blottissant contre les animaux qui partageaient volontiers la chaleur de leurs manteaux laineux avec leur ange gardien.

Vint une nuit sans lune où le jeune Gabriel fut réveillé par un grognement dans l'obscurité. Il ne pouvait distinguer qu'une paire d'yeux jaunâtre qui le fixaient avec insistance. Il se leva, son cœur battait si fort qu'il cru possible de le vomir. Il songea aux démons et autres abominations qui peuplaient les rumeurs du bocage profond. S'approchant lentement, il distingua bientôt deux rangées de canines acérées prêtes à bondir pour le dévorer. Paniqué, il poussa un hurlement, un cri à s’en fendre la gorge, si bien que tout le troupeau de moutons se mit à hurler à son tour.

Les canines s'évaporèrent en un clin d’œil, les bêtes s'affolèrent et nombre d'entre elles disparurent dans les ténèbres. La frayeur mémorable de cette nuit n'eut d'égal que la rouste monumentale qu'il prit le lendemain lorsque Milia Souilly se rendit compte qu'une demi-dizaine d'ovins avaient disparus. Ce fut la dernière correction qu'elle lui infligea. Au petit matin suivant, Gabriel marcha pieds nus aussi loin que ses jambes le portèrent, ne s’arrêtant que lorsque la faim et la fatigue eurent raison de sa détermination à fuir cette "grand’ fille de vesse". Il n’avait que treize ans.
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Andreï Xamov (Mat. 54830)
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Chapitre II : La toise

Cela faisait déjà 4 ans que le sergent Aramont était contraint de se cantonner à diriger la "toise". Procédé d'enrôlement qui, comme son nom l'indique, consistait à toiser les futures recrues pour vérifier qu'ils avaient la taille, la constitution, l'age requis pour rejoindre l'armée. Il avait vu défiler des centaines et des centaines de conscrits et se désolait chaque années de voir les exigences de l'Empire en matière de contingent augmenter tandis que la qualité des recrues demandée ne faisait que régresser. Il les trouvait de plus en plus court sur pattes, de plus en plus chétifs, de plus en plus jeunes. Mais les ordres étaient d'enrôler quiconque pouvait tenir une arme. Quelle honte pour lui qui avait combattu sous les ordres du Maréchal de Fer au 3e Corps d'armée. Quelle piteuse sortie par la petite porte pour un vainqueur de l’Europe entière sous le soleil d’Austerlitz. Il avait refoulé et culbuté les Prussiens à Auerstaedt, enduré les pires souffrances, les canonnades, et goûté à la gloire de rester maître du terrain à Eylau. Désormais, une jambe emportée lors de cette dernière bataille le contraignait à rester au pays, à voir défiler ce qu’il considérait comme des jean-foutres, dont les premières privations de la vie militaire allaient rapidement faire déchanter. En quatre ans, Aramont était devenu un homme aigri. De ses lèvres craquelées, sous sa grosse moustache jaunâtre de tabac, ne s’échappaient pas des phrases, mais des grognements.

Vautré nonchalamment sur sa chaise, le dos voûté et les coudes sur la table, il enregistrait à grands coups de plume le nom et l'âge des volontaires et conscrits avant de les envoyer vers leurs affectations. Devant lui se tenait, fébrile, un jeune garçon menu, à peine plus grand qu'un poney, vêtu de haillons. Ses cheveux touffus, tombant jusqu'aux épaules étaient si crasseux qu'ils en devenaient bruns, bien que blonds d'origine. Ses pieds étaient couverts de sang séché.


-Mhmm... Nom ?


Le Sergent ne daignait même plus croiser le regard des recrues, le besoin en hommes était tel qu'il envoyait désormais volontiers à l'abattoir quiconque était apte à se servir d'un fusil modèle 1777.

- C'toyen v'lontaire Gabriel Saligny !

Sa voix fluette trahissait encore son âge d’enfant. Ni surpris ni complaisant, Aramont leva des yeux rageurs sur le gamin. Il frappa d’un grand coup sa jambe de bois contre le parquet, fronçant les sourcils sur un regard hargneux. Épaule gauche en avant, il pointa ses galons et hurla :

-Qu'est-ce que c'est que ça citoyen volontaire ?! des galons de sergent ! SER-GENT ! Alors tu m'appelles sergent bougre d'âne !


Le jeunot tressaillit, surpris par l’explosion de colère du sous-officier. La sueur perlait sur son front, il sentait son cœur tambouriner dans sa poitrine, plus préoccupé par l'urgence de son enrôlement que par les remontrances qu'il subissait. Où aller, sinon à l'armée ? Il transpirait jusqu’aux os, conscient que chaque seconde pouvait sceller son destin.


-Ou....Oui Sergent !

Aramont se replongea dans les documents qu’il devait remplir, reprenant son interrogatoire en maugréant, tandis que Gabriel tentait de contrôler son souffle saccadé.


-Lieu de naissance ?


-Oh, ça loin d'itchi Sergent, Saligny en Vendée !

-Dents ?

Un silence s'installa, rapidement troublé par l’impatience du sergent.


-Je te demandes si t'as toutes tes dents citoyen volontaire. Vas-tu répondre ou bien que j'te réforme pour idiotie ?
Grommela-t-il

-Tôte ma dents à c't'heure Sergent !

-Bien, âge ?

-16 ans Sergent !


Aramont souffla du nez avant d’esquisser un long soupir. Il savait pertinemment que la recrue mentait, mais elle était volontaire, et lui résigné à enrôler un maximum d’hommes. "Que ceux qui veulent se faire brûler la cervelle sous les balles le fassent, tant que les quotas ne sont pas remplis, je les enverrai au front, ces bougres", pensait-il. Et il s’avérait que les quotas n’étaient jamais remplis. Seuls étaient réformés les estropiés, les simplets, les édentés et autres varioleux, mais ceux-là étaient écartés avant même de passer à la toise.

-T'es pas bien grand citoyen volontaire, mais tu feras l'affaire comme tambour. Félicitations, tu pars pour la Russie. Ton instruction se fera sur la route. Il Hurla. SUIVANT !

Le cœur de Gabriel battait à tout rompre, mais, paradoxalement, un soulagement fugace l’envahit en entendant les derniers mots du sergent. Il était désormais propulsé dans un monde inconnu, où l’angoisse et la mort l’attendaient probablement, mais il avait échappé à une vie sans avenir. Le frisson de l’incertitude se mêlait à une lueur d’espoir : au moins, il avait enfin un but, même si ce but était empreint d’ombres menaçantes.
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Andreï Xamov (Mat. 54830)
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Chapitre III : Un voyage semé d'embûches

Gabriel se tenait à l’arrière d’un convoi hétéroclite, une troupe de jeunes recrues, chacun portant le poids de ses rêves et de ses angoisses. Ils défilèrent d'abord dans les rues de Paris, étriquées et grouillantes de vie, une jungle de pavés et de cris qui déstabilisaient ce gamin plus habitué au chant des oiseaux et aux bêlements des moutons. L'air était chargé d'odeurs variées, mêlant la chaleur du pain fraîchement cuit aux relents désagréables des déjections, vestiges d'une ville sans égouts. Cela lui rappelait les ruelles de Saligny, mais ici, tout était démesuré, un tourbillon de mouvements et de bruits qui contrastaient violemment avec le calme de la campagne vendéenne. Il se sentait comme un naufragé dans un monde prêt à l'engloutir. Alors qu'ils prenaient la route, le bitume de la capitale cédait rapidement la place à des chemins de terre cahoteux.

Les premières journées furent rythmées par le fracas des sabots sur le sol, les cris aigus des vendeurs ambulants se mêlant aux appels des officiers. Gabriel, le tambour suspendu à son cou, ressentait à la fois une fierté timide et une nervosité grandissante. Les paysages défilaient, alternant entre champs dorés et forêts touffues, chaque virage révélant une nature sauvage et majestueuse. Le jeune homme, aux yeux écarquillés, découvrait un monde qu’il n’avait jamais connu, mais la réalité de son voyage l’écrasait comme le poids du fusil au bout de la bandoulière sur ses épaules.

Lorsqu’ils atteignirent le camp d’instruction, Gabriel sentit une tension palpable dans l’air. L’instructeur, l’adjudant Derbois, faisait déjà parler de lui. Vétéran d'une trentaine d'années, il revenait d’une blessure qui n’avait guère adouci son caractère, bien au contraire. C'était un homme d’une stature imposante, mesurant près d’un mètre quatre-vingts, ses épaules larges et musclées lui conférant une allure intimidante. Sa peau, tannée par le soleil et marquée par le temps, était d'un teint hâlé, tranchant avec la pâleur des jeunes recrues.
Son visage, au contour anguleux, était encadré par des cheveux bruns et hirsutes, en bataille, comme s’ils avaient été peignés par le vent du boulet. Une épaisse moustache, à la couleur jaunie par le tabac, ombrait une bouche souvent tordue en un sourire sarcastique. Ses yeux, d'un bleu perçant, semblaient scruter chaque recrue avec une intensité déconcertante, capables de transmettre à la fois admiration et menace. À chaque regard de l'Instructeur, Gabriel y percevait une chaleur glaciale. Un sentiment complexe se manifestait à l'égard de son mentor, entre la fascination et la peur.
Les cicatrices qui marquaient son visage racontaient des histoires de débauches et de brutalités ; l'une traversait son sourcil gauche et descendait le long de sa joue, creusant un sillon profond, tandis qu'une autre marquait son menton, témoignage d'un affrontement dont il était probablement fier. Ses mains, larges et calleuses, témoignaient d’années de combat, comme si chaque doigt était un outil de douleur et de discipline.

Sa réputation de dépravé notoire le précédait, et les rumeurs à son sujet circulaient comme des trainées de poudre parmi les recrues. Chaque fois qu'il se déplaçait, sa démarche était à la fois assurée et menaçante, une danse entre l'autorité et le danger. Il était l’incarnation de l’homme qui avait tout vécu, et sa présence sur le champ d'instruction marquait le début d'un apprentissage rude et sans compromis.

Les premières leçons furent un choc pour le jeune tambour. Sous le regard perçant de Derbois, il apprit à faire vibrer le bois et à frapper le cuir du tambour, à battre la marche, le rassemblement, la retraite, la charge. Chaque battement résonnait comme un ordre impératif, et la pression d’être à la hauteur pesait lourdement sur ses épaules. Gabriel éprouvait un mélange d’admiration et de crainte envers cet homme dont le charisme brut inspirait la loyauté tout autant que l’effroi parmi les conscrits.

Un jour, alors qu'il peinait à synchroniser ses mouvements, Derbois s'approcha de lui, un sourire mauvais étirant ses lèvres.

- Regarde-moi, Mie de pain ! lança-t-il, la voix vibrante d'une moquerie acérée. T'es pas plus grand qu'une puce ! Le surnom résonna comme une cloche parmi les recrues et tous se mirent à rire, un écho cruel qui fit rougir Gabriel. "Mie de pain", le terme argotique pour désigner les puces, collait à sa stature frêle et à sa nervosité palpable, une étiquette qu'il se voyait mal porter mais qui allait devenir son étendard. Ce rire collectif le déstabilisait, mais au fond de lui, une flamme de défi s’allumait.

Derbois n’hésitait pas à le tourmenter, à le pousser dans ses retranchements, un sourire malsain se dessinant sur ses lèvres à chaque humiliation infligée.
- Tu crois que le tambour est un jouet, gamin ?! Grondait-il. C’est le rythme de la guerre, tu dois apprendre à l’entendre et à le jouer ! Si tu veux survivre, tu dois t’entraîner jusqu’à ce que tes doigts saignent !

Gabriel encaissait les mots comme des coups, mais il savait qu’il avait besoin de ce dur apprentissage. Chaque fois que l’adjudant le rabrouait, quelque chose en lui se renforçait, une détermination sourde face à l’adversité. Pourtant, la manière dont Derbois jouait avec ses nerfs le perturbait. Il se demandait si l'adjudant ne trouvait pas un plaisir malsain à l'humilier, une idée qui le hantait même dans ses moments de repos.

Les jours passaient, les leçons s'accumulaient. Gabriel se plongeait dans son entraînement, le tambour battant à l’unisson de son cœur, tandis que Derbois, bien que sévère, lui enseignait les rudiments du métier de soldat. Il lui montrait comment gérer le stress, comment charger un fusil, comment plonger sa baïonnette dans le corps d'un homme. Mais à chaque instruction, il n’oubliait jamais de lui rappeler la cruauté du monde qui l'entourait, à commencer par la sienne. À chaque nouvelle difficulté, Gabriel se demandait s’il réussirait à gagner le respect de cet homme aux méthodes si brutales et si dépravées.

Les nuits, souvent passées à la belle étoile, apportaient leur lot d’angoisse. Le ciel, si vaste, semblait aussi redoutable que la guerre elle-même. Les murmures du vent et les bruits lointains des animaux nocturnes troublaient son sommeil, tandis que ses pensées vagabondaient entre l’espoir d’une nouvelle vie et la peur d’un destin tragique. L'adjudant Derbois, avec son regard perçant et son sourire narquois, hantait parfois ses rêves, parfois ses nuits ... sans que personne n'y trouve quoi que ce soit à en dire.

À mesure qu’ils avançaient, la fatigue se faisait sentir. Les rations se réduisaient, et les visages de ses camarades, marqués par l’angoisse et l’épuisement, commençaient à perdre leur éclat. Mie de pain, lui aussi, ressentait le poids de l’incertitude. Il se remémorait les visages de sa famille adoptive, les souvenirs d’un passé qu’il avait quitté, et commençait à regretter les corrections de la vieille garce.

Enfin, après des semaines de marche éreintante et d’entraînement sous le regard acéré de Derbois, ils franchirent la frontière de la Russie. Les paysages changeaient encore, se peuplant de vastes steppes et de forêts enneigées. Gabriel sentait un frisson d'excitation l'envahir : il était là, au seuil d'un nouveau chapitre. Mais l'ombre de la guerre planait toujours au-dessus de lui, un rappel constant des défis qui l’attendaient.

Il savait que ce voyage, à la fois physique et intérieur, marquait le début de nombre d'épreuves qui le forgeraient. Les batailles à venir seraient autant des combats contre l'ennemi que des luttes pour son propre courage et sa résilience. Dans cette lutte, Mie de pain avait appris à tirer force de la rigueur de Derbois, même si cela se faisait au prix de terribles souffrances. Alors qu’il avançait sur ce sol étranger, il réalisait que chaque pas le rapprochait non seulement de son destin, mais aussi d'une nouvelle compréhension de lui-même et de ce qu'il pouvait devenir. Cet arrivage de recrues, l'adjudant Derbois à sa tête, fut incorporé au bataillon Marceau.
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Chapitre IV : Une revue de troupes

Marceau se tenait là, une figure imposante dont l'uniforme impeccable accentuait la stature. Ses cheveux ondulés, d'un brun profond, tombaient en cascade jusqu'à ses épaules, encadrant un visage fin à la mâchoire ovale. Une petite moustache, bien taillée, lui donnait un air à la fois distingué et accessible. Ses yeux brillaient d'une lueur de bienveillance, mais leur éclat était terni par la pitié qu'il éprouvait pour ces recrues.

Leurs vêtements, trop larges ou en lambeaux, contrastaient avec son propre uniforme soigné, orné d'une médaille qui témoignait de son expérience durant la campagne de Volchanka. À peine étaient-ils arrivés au bivouac que certains, transis de froid grelottaient déjà des fraîcheurs du soleil couchant de cette fin de mois de septembre. Marceau scrutait chaque visage, notant l'angoisse et l'innocence dans leurs traits. Son air grave, habituellement empreint de détermination, témoignait d’une inquiétude profonde : il se demandait si ces jeunes hommes, mal préparés pour les horreurs du champ de bataille, parviendraient à surmonter les épreuves qui les attendaient. Cette lutte entre son devoir d’officier et la compassion qu’il éprouvait pour ces âmes innocentes le troublait profondément, le laissant à la lisière de ses propres certitudes face aux dangers devant lesquels il s'apprêtait à les mener.

Il parcourait les rangs, observant dans un silence solennel les recrues alignées devant lui. Certains portaient des uniformes trop grands, d'autres des pantalons déchirés. Beaucoup portaient des chaussures usées et mal ajustées, remplies de foin et de paille. Cette vieille astuce était utilisée lors des marches d'instruction pour aider les conscrits à différencier leur droite de leur gauche. L'instructeur criait "paille ! foin ! paille ! foin !" pour rythmer la marche, guidant ainsi les soldats dans leur apprentissage. Leur jeunesse était frappante, avec des visages juvéniles trahissant l'angoisse et l'inexpérience. Le cœur lourd, encore imprégné des idéaux d'égalité et de fraternité révolutionnaires, le Sous-Lieutenant fraichement sorti de l'école militaire ressentait un profond ressentiment envers l'Empire qui envoyait ces enfants à la guerre. Il se demandait s'ils seraient capables de survivre aux défis à venir, hanté par la peur que leur naïveté les mène à la désillusion, la désertion ou pire encore, à la mort. Sa bienveillance était teintée d'une profonde mélancolie.


Marceau s'arrêta bientôt devant un jeune garçon dont le tambour, pendu à son épaule, semblait plus lourd que son frêle porteur. Il le scruta de la tête aux pieds d'un regard soupçonneux.
-Nom et âge. Lui lança-t-il sèchement.
-Tambour Saligny dit "Mie d'pain", seize ans ! Le garçon marqua un instant de pause, fronçant studieusement les sourcils en observant les galons de l'officier. Mon Lieu'tnant ! ajouta-t-il d'un sourire satisfait d’avoir reconnu le grade que les galons impliquaient. La mine de l'officier se déconfit encore d'avantage après cette réponse du tambour dont le sourire s'effaça dès lors.
-Ton âge tambour Saligny ! Veux-tu prendre un soufflet pour mentir ainsi à ton officier ?
-Treize ans mon Lieu'tnant ... Un silence s'installa. Marceau ne détachait pas son regard sévère de la jeune recrue qui semblait aussi écrasée par son intensité que par le poids du tambour. Finalement, après ce qui lui paru être une éternité, Mie de pain sembla prendre son courage à deux mains en bombant le torse. C’est qu’j’peux taper l’tambour aussi bien qu’à seize ans mon Lieu'tnant !
Ce fut au tour de Marceau d'esquisser un sourire fugace, il tendit le bras pour tirer l'oreille du garçon et conclure d'un ton paternaliste.
-Tambour Mie de pain, j'apprécie ton courage, mais sois honnête. Si tu veux porter ce tambour, commence par porter la vérité. Sers-le comme tu servirais l'Empereur lui-même, et tout le bataillon, moi y compris, te sera reconnaissant.
Il fit un pas en arrière et parcourut les rangs en s'adressant à l'assemblée. Soldats ! vous devez comprendre que chaque rôle ici est essentiel. La discipline est la clé pour survivre. Je veux voir en vous de la détermination. Servez moi bien, servez l'Empereur, et je vous donne ma parole que je vous mènerai vers la victoire.
Quelqu'un marmonna avec sarcasme dans les rangs, assez fort pour être entendu. Aaah ... la belle promesse du Sous-Lieutenant.

Marceau se retourna, s'approchant d'un pas déterminé vers l'effronté qu'il perça d'un regard désapprobateur. Sortez des rangs ! Nom et états de service. D'un hochement sec du menton, il ordonnait à son interlocuteur de répondre. Derbois fit un pas en avant, le visage stoïque, fendu de cicatrices et d'un rictus satisfait. Adjudant Derbois. Il accentua grossièrement les syllabes, comme pour souligner l'inexperience de l'officier, qu'il savait non-issu du rang. Sous-Lieutenant. Les deux hommes se faisaient face, un duel silencieux où Marceau était dans l'intimidation tandis que l'autre prenait un malin plaisir à ne rien dissimuler de son indifférence totale. Mes états de services ? Iéna, Friedland, Essling, Wagram. Sous-Lieutenant. Des états de service impressionnants pour le jeune officier sorti d'école qu'était Marceau. Il pouvait néanmoins se satisfaire d'avoir un vétéran de ce calibre parmi ses renforts. Adjudant Derbois ! Je suis honoré de vous compter parmi nous. Je respecte votre expérience. C'est pourquoi vos commentaires se feront désormais à moi et à moi seul ou bien je vous fais mettre aux arrêts ! Ce sera tout, retournez dans le rang.

Derbois s'exécuta, un rictus effronté toujours sur le coin de la lèvre. Rompez ! Bienvenue en Russie messieurs ! Lança Marceau à la troupe qui se dispersa dans un brouhaha indistinct. Il eut un dernier regard pour l'adjudant tandis qu'il s'éloignait. La présence de cet homme lui paraissait être autant une bénédiction dans le sens de son expérience qui profiterait aux recrues, qu'une malédiction tant il se montrait narquois et condescendant envers sa hiérarchie. Il allait devoir se renseigner sur lui et agir vite, Marceau craignait que son insubordination ne contamine le bataillon entier.
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