Au loin, la cannonade tonne. Mais à ces mots pourtant funestes, aucune réponse ne vint s'adjoindre.
-Mon Lieutenant...
Le ton de l'estaffette se fait plus insistant, plus pressant. Presque suppliant. La peur transpire de ces syllabes. Et cet aristocrate qui ne réagit toujours pas. Misère ! Damné bretons, que le diable les emporte tous !
-Lieutenant !
Un sursaut. Chez le plancton d'abord, surpris du ton impératif, presque autoritaire qu'il a employé à l'adresse de l'officier dirigeant son Bataillon de Ligne. Et chez l'officier en question, penché sur une série de cartes du terrain qui lui faisait face, et tout à sa lecture. Tant et si bien qu'il était resté sourd aux paroles de son subordonné. Jusqu'à présent...
-Qu'y a t-il pour votre service, Caporal?
Il s'était redressé de la table branlante à laquelle il était accoudé, dévoilant un uniforme parfaitement brossé -de ceux qui n'ont encore jamais servi-, et une tenue impeccable. Rasé de frais, et prêt pour le service.
Le jeune officier avait abandonné la mine soucieuse et contrite qu'il arborait quelques instants auparavant, à la lecture des cartes d'Etat-Major qu'on lui avait fait parvenir. Désormais, du haut de son mètre quatre-vingt, il toisait sévèrement le trouffion qui lui faisait face et qui, à son tour, était tout contrit et confus de honte, et bien soucieux de son avenir au sein de la troupe. C'est que malgré son jeune âge, il n'avait pas une réputation de tendre, le Lieutenant...
Cependant, le messager parvint tant bien que mal à trouver le courage de lui décocher une réponse. D'une voix aussi désolée qu'inquiète...
-Mon Lieutenant, les lignes russes sont en vue. Ils avancent droit sur nous.
Sans mot dire, le Sous-Lieutenant en question ramassa sur sa table une longue vue qui gisait là, parmi les cartes.
Courbant un rien l'échine, il s'extirpa de sa tente dont la mince toile était battue par un vent soufflant rageusement de l'Est, pour découvrir tout autour un spectacle désormais bien connu de tous ceux de la Grande Armée: misère, désolation, et gigantisme...
Devant lui, les troupes francaìses. Son Bataillon, modeste pour l'heure, était en seconde ligne du dispositif de son Régiment.
Les Russes, au loin, n'étaient encore qu'ombres et silhouettes, progressants en bonnes lignes et au coude à coude, tels un seul homme marchant dans la Steppe.
Entre eux et sa troupe de novices, fraichement levée de la France lointaine, se dressait une immensité hostile, battue par la pluie glaciale et par l'artillerie. Quelques kilomètres à peine. Un véritable enfer...
Et par delà ce no man's land encore inviolé, les troupes de choc de la Grande Armée. Des grenadiers et des chasseurs que ses hommes, ainsi que lui-même, regardaient avec envie et respect. Ces vétérans en avaient bavé, ils en avaient vu... Et leurs regards perdus dans le lointain, impassibles face à l'ennemi, en témoignaient mieux que quiconque.
Ils feraient un excellent rempart.
-A toutes les compagnies: En ligne, serrez les rangs. Du cran et de la prestance.
Ces quelques ordres, lancés à son estafette qui piétinait d'impatience et d'appréhension à quelques pas de lui, brisèrent un long silence. Quelques secondes, tout au plus, durant lesquelles il avait observé la progression de l'ennemi. Une éternité durant laquelle la troupe russe s'était rapprochée à vue d'oeil...
-Et, Caporal... Nous réglerons cela en temps voulu. Perdre vos galons vous aidera certes à vous rappeler à l'avenir de la préséance des grades, et du respect dû à vos supérieurs.
L'étreinte de ses doigts massifs mais encore vierges d'éraflures ou de durillons se déserra du bras frêle de son jeune commis.
Il laissa l'estafette s'éloigner ventre à terre, pour reporter son attention sur cette marée noire de soldats qui avancait inexorablement vers lui.
L'oeil rivé sur sa longue vue, le visage fermé et le regard impassible, il était mûre pour sa rencontre d'avec le destin. Il pouvait lancer toutes ses forces dans la bataille. Enfin...
[Toute intervention rp est la bienvenue, sachant qu'en dehors de son bataillon le petit Sous-Lieutenant est un illustre inconnu
