La Campagne de Russie

Éveillé en sursaut par ce qui semblait être une tique assoiffée de sang ayant repéré une poche d'hémoglobine, Pontmercy manqua de tomber de sa chaise. Il se rattrapa in extremis grâce à la table, puis y posa ses coudes et se frotta les yeux pour avoir une vision un peu plus claire. Cela fait, il détailla son interlocuteur puis s'exclama:

-Mikhaïl, quel plaisir de te voir ici ! La prochaine fois, réveille moi plus doucement veux tu ? Entre les combats et la gazette, je n'ai que peu de temps pour dormir et voir mon maigre repos perturbé ainsi ne me donne franchement pas envie d'être agréable... Mais je ferai une exception pour cette première fois. Et je te l'ai déjà dit, pas de "chef" avec moi.
Tu veux boire quelque chose ? Demande ce que tu veux à René, et mets ça sur ma note. Je ne bois de toute façon pas, ma femme n'aime pas cela... Je compense avec le cigare, dit il en joignant le geste à la parole.

Sans attendre que Koutousov passe sa commande, il enchaîna:

-J'ai vu ta première production... C'est vraiment pas mal, si tu en fais régulièrement d'autres comme ça on risque de devoir allonger la gazette.
Tu connais tous les rédacteurs ? On est une petite mais fine équipe, si tu veux des infos sur l'un d'entre eux dis le moi.

Touché par cette marque de confiance, Mikhaïl se tourna donc vers la serveuse et commanda le plat le plus cher et la meilleure vodka... Après tout s'il ne payait pas... Et puis quel honnête journaliste pourrait travailler sobre ? On est russe ou on ne l'est pas...

- Et bien, che.. euh... redacteur en chef ?... Je ne suis pas contre une petite présentation de la fine équipe... Surtout s'il y a une jolie blonde qui en fait partie... Sinon à défaut je me rabatterai sur la serveuse !

Voyant le plat arriver, Pontmercy fit la grimace... Il risquait de devoir limiter sur les cigares... Au moment où la serveuse s'en allait, Mikhaïl la pris par le bras et lui murmura un mot à l'oreille qui, apparemment la fit bien rire...
Il avait même mis le pourboire sur le compte de Pontmercy

"Quel petit salaud", pensa Pontmercy en voyant Mikhaïl se baffrer. "Voilà ce que ça donne quand on est gentil... Hé bien on ne m'y reprendra pas souvent."
Il sourit en voyant le Russe faire du gringue à la serveuse. Le pauvre ne savait pas à qui il avait affaire, mais il y allait quand même tête baissée.

-Pas de blonde, ni même de femme. On a bien Yvan, dit il en jetant un coup d'oeil à la "serveuse", mais c'est bon en public, à mon avis en privé ça doit surprendre un peu. Mais peut être que tu y es habitué...
Ça serait bien pourtant, apporter un peu de fraîcheur, de grâce, tempérer quelque peu nos ardeurs... Et puis Mouchès est sur la béquille, il s'est déjà occupé de tout ce qui pouvait passer, même les animaux l'ennuient.

Il observa un peu autour de lui, mais il n'en avait pas besoin: cette taverne, à part quelquefois l'un des journalistes cuvant son alcool ou planchant sur un article, était presque toujours vide. Mais, comme le disait René, Tchekov suffisait presque à maintenir la taverne à flots et les recettes de la gazette qui commençait à être lue par de nombreux soldats permettaient au tout de tenir bon.

-Je te dis ça parce que tu es de chez nous bien sûr, mais garde le pour toi...
Pour l'équipe on a, en une rapide description et par ordre d'arrivée:
Tchekov, juge alcoolique et plus ancien rédacteur en activité. Il boite un peu, une affaire d'honneur il me semble... Tu lui demanderas, si un jour tu le croises en état de sobriété. Ça ne m'est pas arrivé souvent, mais tu peux essayer.
Leto, désoeuvré après sa démission de commandement suprême Russe. Il a quelques relations utiles, et c'est lui qui a trouvé le bienfaiteur qui nous permet de publier.
Pierre Jacques Osten, qui... Je ne sais pas comment le qualifier, mais il a lui aussi fait son portrait pour une des prochaines gazettes, tu liras et te feras ton opinion.
Octave Mouchès, second de la brigade de cavalerie de mon régiment. Un cuirassier, bourru, grandiloquent, homme à femmes -ou à tout ce qui bouge- et très porté sur la boisson.
Killer Ethyl, un petit vieux qui n'est là que pour éviter les fautes que nous faisons. La gazette paraît en deux versions: la russe et la française, et comme le bonhomme est bilingue ça nous permet de pas payer 2 gars pour le même boulot. Il ose pas se lancer dans l'écriture, mais je compte bien l'y forcer un jour ou l'autre.

Georges tira une bouffée de fumée, appréciant le cigare. Ça compensait la fine, mais ça coutait quand même sacrément cher et mieux valait les savourer.

-Il y en a eu bien d'autres, et tu es arrivé juste après le départ de Petrov... J'espère aussi qu'il y en aura de nouveaux sous peu.

N'en faisant qu'à sa tête, Mikhaïl décide de monter avec la jolie serveuse... Après tout, les affirmations de Pontmercy ne sont que les manifestations de la rancune qu'il a... Il n'avait qu'à pas l'inviter ! Et puis les dires d'un français sont toujours soumis à caution...
Deux heures plus tard, Mikhaïl descend les escaliers avec une étrange démarche de canard...

- La prochaine fois je vous ferai confiance chef... Mais il faut comprendre... J'avais bu trop de vodka...

D'aucuns remarqueront que cette affirmation n'a guère de sens dans la bouche d'un Russe et que c'est là une vaine manière de se rattraper...

- Chef, et si on faisait une rubrique pour prévenir les soldats des dangers qui les guettent... euh... derrière eux ?

HRP/ Un grand merci Saint-Hilaire/HRP

Georges releva la tête du papier qu'il était en train d'écrire et eut un franc sourire. Qu'avait dit le major Argenthur à son propos une fois ? "Écoutez Pontmercy, c'est un homme de sagesse." Mikhaïl venait de l'apprendre à ses dépends.

-Rien de mieux pour se remettre de la vodka qu'un petit verre de vodka, et je sais de quoi je parle. J'aurais du te prévenir plus sérieusement, mais je n'ai pas pu résister alors je te dois bien ça.

Le major se tourna vers le tavernier qui écoutait en essuyant une choppe et dit:

-René, tu peux lui en donner un ? Un grand si possible.
Écris cet article si tu y tiens, fit il en revenant à Mikhaïl, je suis sûr que nombre de jeunes soldats aimeraient bien profiter de ton expérience.

Il signa son écrit, le plia soigneusement, fit fondre un peu de cire sur l'une des faces et y appliqua le sceau de la gazette, représentant grossièrement un oiseau tenant un journal dans son bec et entouré de la devise "la vérité vous rendra libre".

-Fred, lança t il à l'adresse de son aide de camp qui somnolait non loin, réveille toi mon vieux.
Tu vas porter cette missive à la personne dont je t'avais parlé, et tu fais au plus vite. Si des Russes veulent t'arrêter, montre leur le sceau qui est dessus.

Frédéric partit, Georges s'étira puis posa ses mains jointes derrière sa tête, restant en extension.

-Je me demande bien ce que font les autres... Enfin je le sais, l'un cuve son alcool, un autre court les femmes, mais je me demande pourquoi ils ne viennent jamais.
Et je t'ai dit d'arrêter de m'appeler chef.

Tchekov entra dans la taverne de la gazette ! Il y venait peu par manque de temps. Ce soir semblait propice. Pas de jugement à rendre, les bureaux des ministères étaient désertés ! Trop d'officiers en permission. Aussi d'un pas tranquille, il entra. D'un rapide coup d'oeil il parcouru la salle enfumée. Georges était présent. Il vit à coté de celui-ci un jeune homme dont les traits lui était inconnu. Portant un uniforme Russe en parfait état. Probablement la dernière recrue de la gazette que Pontmercy essayait de pervertir. Il avança vers eux.

Bonsoir Georges, heureux de te retrouver ici.

Tchekov tendit la main au jeune homme à coté.

Bonjour monsieur. Major Tchekov.

Un serveur qui avait reconnu le juge lui apportait déjà un verre remplit de sa vodka préférée. Tchekov pris le verre.

Merci. Apportez la bouteille ce sera plus simple.

Il leva son verre.

A votre santé messieurs et aux prochaines gazettes.

L'arrivée de Tchekov fit s'épanouir la figure de René. Le patron savait qu'il allait faire une bonne recette pour aujourd'hui. Le juge était un puits, un gouffre sans font ou l'alcool coulait sans s'arrêter. Avant même qu'il n'alla vers les journalistes, René commença à servir un verre qu'il donna à Yvan, qui préférait qu'on l'appelle serveuse que serveur et qui était à l'inverse de Mikhaïl rasséréné par les deux heures passées en haut.
Pontmercy se leva pour donner l'accolade à son confrère qui avait vidé le verre d'un trait, puis lui tira un siège:

-Prends donc une chaise mon ami ! Quand je pense qu'en public tu me traites de "scribouillard"... J'espère que tu n'as croisé aucun de mes compatriotes, ils t'en veulent toujours pour le coup de la prise d'otages.
Je te présente notre nouveau venu, Mikhaïl Koutousov, recruté par les bons soins de Leto. Il a écrit un article avant même de tirer sur des Francais, c'est un Russe comme on en voit peu !
Tu liras sa production, quant à moi elle me fait penser aux articles de l'Anglais que nous publiions... On va encore avoir Sainte-Croix sur le dos.

Mikhaïl se sentit tiraillé entre deux instincts contraires... D'un côté on ne refuse pas un verre de vodka, surtout d'une aussi bonne (et aussi forte), de l'autre côté pourtant, son arrière train était suffisemment douloureux pour reflechir à deux fois avant de replonger dans ses excès coutumiers...
Mais finalement, n'est pas russe qui veut, c'est la vodka qui l'emporta !

- Yvan !

C'était le petit nom du serveur-serveuse, qu'il connaissait parfaitement maintenant...

- Apporte donc aussi à manger... Et je m'en veux un peu d'avoir tant ponctionné la paye de ce pauvre Pontmercy, tu mettra donc ça sur la note de ce cher Tchekov...

Ainsi c'est donc vous le jeune Koutousov ! Enchanté. J'espère que votre plume est bien taillée jeune homme ! A la gazette vous en aurez bien besoin. Et ne vous inquietez donc pas de qui paiera ! Evidement que c'est moi !

Yvan cette bouteille alors, elle arrive, j'ai soif !

Ainsi lieutenant, c'est donc Leto qui vous a engagé ! Bravo vous choisisez bien vos parrains ! Aussi bien que vos amis dit-il d'un ton ironique en regardant Yvan.

Tchekov s'assit à coté de son ami.

Comme tu vois, je suis toujours vivant ! J'ai effectivement appris que tes amis avaient été libéré. Il semble qu'il préfèrent aller se reposer près de leurs maitresses que de venir me chercher ! Tu me parlais de Sainte Croix ! Cela fait bien longtemps que je ne l'ai croisé ! J'ai même crains pour sa vie !

Yvan venait de déposer une bouteille pleine sur la table et Tchekov en profita pour remplir les trois verres.

Chaudard entrait dans cette taverne qui n'avait jamais fréquenté auparavant, mais il devenait de plus en plus accro à cette gazette et l'annonce de faire pouvoir publier quelques annonces ou articles avait titillé l'esprit de Chaudard.
Il ouvrait la porte et rentrait dans une salle enfumée, il voyait au fond de la salle trois hommes, un français et deux russes entrain de s'enivraient avec ce fameux elixir qui rend les hommes fous.
Chaudard s'approchait du comptoir et s'adressait au tavernier.

"Mon bon ami, je voudrais voir l'officier Osten! Serait-il là?"
"Non monsieur, l'officier Osten n'est pas là! Que désirez vous?"
"Je voudrais lui donner ceci, je lui en ai parlé il n'y a pas longtemps, pouvez vous lui transmettre?" Chaudard tendait un bout de papier au tavernier.
"Je lui transmettrais capitaine."
"Merci tavernier." Chaudard saluait le tavernier et les officiers au fond de la salle et quittait la taverne pour rejoindre son front.

Observant avec appréhension le verre qui lui faisait face, remplit d'excellente vodka, Pontmercy était tiraillé. Grand buveur dans le temps, il avait à la demande de sa femme arrêté le jour de la naissance de son fils Marius en 1810. Depuis, plus une goutte d'alcool n'avait passé le seuil de ses lèvres, ni vin, ni bière, ni liqueur, ni quoi que ce soit de spiritueux.
Souvent tenté, le visage de son enfant lui revenait en mémoire à chaque fois. Et il tenait bon. Il aurait pourtant pu invoquer la guerre et ses horreurs à oublier, la diplomatie et ses convives à contenter, le simple fait de n'être pas surveillé...

-Pas de bonnes excuses, si l'on accepte les bonnes on ouvre la porte aux mauvaises... murmura t il pour lui même. Je ne bois pas Tchekov, tu le sais pourtant, alors pourquoi ce troisième verre ?

Avant que le juge ne put répondre, un officier Français entra et discuta quelques instants avec René. Ce qui fournissait une occasion pour une pique, afin d'acclimater le nouveau à son humeur coutumière:

-Une autre de tes conquêtes Mikhaïl ?

Mikhaïl, était doué d'un humour tout à fait pince-sans-rire et plutôt que de se justifier, il préféra enfoncer lui-même le couteau... Après tout pour se moquer des autres il faut savoir se moquer de soi.

- Tu ne crois pas si bien dire... Ou disons presque... J'étais en fait dans le lit de sa femme, lui devait être au front, et puis, vas savoir pourquoi, le voici qui débarque, plonge dans le lit et commence à me prendre pour sa femme...

Le visage de Mikhaïl restait impassible si bien que ses compagnons ne savaient plus s'il s'agissait d'humour ou bien d'une histoire vrai...

- Par contre tu me deçois Pontmercy, Tcekov n'a jamais pensé à toi pour ce verre, les deux sont pour moi...

Là il partit dans grand rire aux allures d'aboiement, vite rejoint par les deux autres.

Molokov lisait la gazette quant il aperçu une phrase sur le grand Général qu'il le fit pouffer de rire.

Alexandre Ivanovitch dort toujours avec un ours en peluche. On sait maintenant que l'Armée du Tsar est dans une passe difficile.

Mais c'est qu'il a de l'humour ce Regarda l'auteur un peu plus bas. P.J. Osten.