Hum... hum... hum...
Le jeune officier n'en finissait plus de regarder les cartes, partout des cartes, encore des cartes. Il connaissait cette région par cœur, il dormait et rêvait des cartes, des bouts de terre à conquérir et tenir, malgré les pertes, malgré les blessés hurlants, malgré les membres arrachés par les obus des canons, malgré les balles fusants au-dessus des têtes des soldats, malgré les baïonnettes imprégnées de sang. Cette guerre, il fallait la gagner. L'Empereur l'avait ordonné. Empereur... Empereur...
Alexandre vida un peu plus son verre. Ses nouvelles fonctions lui avaient permis d’accueillir un aide de camp, un certain Romain quelque chose. Peu importe, il n'était jamais réellement proche de ces hommes. La situation française s'était améliorée. Lui non. Certains n'avaient pas bougé le petit doigt pour l'aider, d'autres avaient tout tenté. Il LE haïssait. Oui, un sentiment profond de haine, mélangé à une incompréhension forte, naissante et croissante. Rien, il n'avait rien fait! Ni lettre, ni entrevue, ni même un entretien! RIEN!
Une estafette entra, tirant le Général en Second de sa rêverie. Des nouvelles du front. Il parcourut la lettre, vit qu'elle ne nécessitait aucune réponse, renvoya le soldat. Il bougea un pion sur la carte. Les forces françaises avaient gagné du terrain depuis quelques temps. Charleville avait uni les soldats, les chefs, même les plus râleurs. Des tensions subsistaient, des choix étaient longuement discutés mais au final, l'armée s'en sortait mieux. Vilpinov avait-il perdu de sa superbe? Ses choix étaient-ils enfin mauvais? La perte de certains grands officiers avait peut-être entamé le moral des troupes ennemies. Parfait.
Marc Servant entra en trombe sur ces réflexions.
"Je l'ai! Tiens Alex, je l'ai!" dit son officier de cavalerie, tendant un pli portant un cachet inconnu.
"Parfait! Tu as réussi, parfait! Parlons faiblement mon ami, sinon nos têtes pourraient tomber rapidement. Va t'assurer que les gardes de faction sont bien à leurs postes, suffisamment loin donc."
"J'y vais!"
Alexandre décacheta la lettre et la parcourut. L'écriture était hésitante. La signature concordait, comme le sceau final. Alexandre sourit. Il allait peut-être finalement lui rendre la pareille. Il n'avait rien fait pour lui, lui ferra quelque chose contre lui. Il se versa un verre et attendit le retour de Marc qui sera ravi de lire ces quelques lignes...