Chapitre 19 : une bonne expérience de l'artillerie, et une entrée en Gendarmerie :
- Bataillon...à mon commandement...'ARRRRRDDD'VOUS !!
La voix rauque du Chef de Bataillon Vosgiens claqua sur la plaine. Devant les tentes qu'ils avaient montées, et hormis les quelques hommes affectés à la garde du campement et à la tambouille, l'ensemble du Bataillon des Loups Noirs claqua des talons.
- 'SEEEEENNNTEEEEEZ...ARM' !!!
Les officiers présentèrent le sabre et les troupiers présentèrent le fusil, les sous-officiers et les artilleurs se mirent simplement au garde-à-vous.
Le Colonel Lupus, chef de corps, sortit alors de sa tente, et salua Vosgiens, qui lui rendit le salut au sabre. Puis, tous deux commencèrent la revue des troupes, qui, disposées en carré ouvert sur un côté, sur la place d'armes improvisée sur l'herbe, suivaient leurs deux chefs du regard.
Lupus saluait les compagnies et pelotons de sa troupe, les uns après les autres. Son regard scrutait chaque détail, car, enfin, la troupe était toute entière parée de l'insigne de la 35ème Légion de la Gendarmerie Impériale. Les hommes du Bataillon des Loups Noirs avaient certes fière allure : ces géants, qui presque tous portaient la moustache, parfois même la barbe, étaient vêtus d'uniformes d'un bleu très sombre, parés de la grenade d'or; leurs couleurs françaises, sur leurs drapeaux, et les lettres d'or et les médailles d'ancienneté qui y pendaient, étaient les seuls tons qui détonaient vraiment.
Ayant fini le tour des troupes, Lupus et Vosgiens se placèrent sur le côté ouvert du carré, et Lupus, qui de ses deux mètres vingt-cinq dominait les autres, lança de sa voix profonde et puissante:
- Messieurs !
Après les longs affrontements des régions de Brailia et Cahul, nous avons quitté la Brigade Infernale, avec qui nos chemins ne s'accordaient malheureusement plus.
Nous avons alors progressé vers le Nord, et nous sommes installés un temps dans le secteur de Campina où, avec les rares autres troupes présentes, nous avons livré les durs combats pour protéger la forêt de Vulcan et empêcher une percée directe de l'ennemi russe contre le campement principal de la Grande Armée.
Puis, plus récemment, nous nous sommes tournés vers l'objectif de la Grande Armée : la destruction de la forteresse de Brailia. Dans ce défilé étroit, où les compagnies s'entassaient les unes sur les autres, vous avez fait preuve d'une extrême combativité. J'en profite pour saluer notre VI° Batterie, qui a acquis l'expérience nécessaire pour que ses officiers et sous-officiers pointeurs de pièces se voient attribuer la qualification de balisticiens !
Le capitaine commandant l'artillerie du bataillon répondit en saluant du sabre, tandis que des murmures approbateurs parcouraient les rangs et que quelques "bravos" fusaient ici ou là. La rumeur cessa cependant vite, car le colonel n'avait pas terminé.
- Dans le même temps, j'ai entamé les démarches pour que le bataillon quitte les rangs des francs-tireurs et rejoigne ceux de la Gendarmerie Impériale. Le Grand Prévôt De Villeneuve et le Vice-Prévôt Bailly ont accepté, ce qui nous vaut aujourd'hui l'insigne honneur de porter enfin, cousu à chaque épaule, la grenade d'or de ce corps d'élite.
MAIS !
Mais n'oubliez pas : intégrer la Gendarmerie Impériale n'est pas intégrer un simple régiment. Nous intégrons une Arme particulière : une Arme où nous servirons tous, je dis bien tous, la Justice militaire. Chacun de vous suit d'ores et déjà des instructions spécifiques à nos nouvelles qualifications d'auxiliaires de la Prévôté Militaire. Nous ne sommes pas encore de véritables gendarmes, mais nous le deviendrons.
Cette qualification rejoint, vous ne l'ignorez pas, mon poste de Directeur Général de la Protection, de la Surveillance et des Peines Militaires, auprès du Cabinet Militaire de Sa Majesté Impériale, ainsi que ma passion de la Loi, seul moyen de tenir en équité les membres d'une société, et de tenir en stabilité cette société elle-même.
Aussi, je compte sur vous pour tout faire afin de mériter et de bien user de cette qualification. Soyez dignes de la Grenade.
Lupus marqua un temps, quelques murmures fendirent le silence, un court instant.
- Ceci étant, nous faisons désormais marche vers le Nord. Comme vous le savez, soit par vos supérieurs, soit par les rumeurs récoltées auprès de vos camarades des autres bataillons de la Grande Armée, l'armée impériale russe, malgré ses importantes réserves de ressources, a craqué au Centre et, surtout, au Sud : son dispositif a été complètement défait, notamment par la Garde Impériale. Je suis désormais en mesure de vous confirmer officiellement que les troupes françaises ont, en plus de tenir toujours Brailia victorieusement, réussit à s'emparer du moulin de Bolgrad ! Il est même possible que les deux fermes du Sud-Est servent bientôt de campements à nos armées !
De nouveaux murmures approbateurs s'élevèrent dans les rangs. Cela avait certes couru depuis un moment, mais une confirmation par le chef de corps donnait toujours un caractère réel à une information.
- Au Nord-Ouest, le sureffectif russe a réussit à entamer un moment nos forces, au point de faire tomber notre fortin et notre ferme; mais désormais, la Grande Armée y a redéployé des forces, et notre poussée ne souffre d'aucune comparaison avec celle que les russes avaient appliquée : l'armée du Tsar est battue en brèche, et recule en courant. Des informateurs ont laissé entendre que déjà des russes, faute d'assez de ponts, se jetaient dans la Mures, au niveau de Nadvorna et Putna, pour traverser à la nage. Notre avant-garde s'enfonce dans leurs rangs comme dans du beurre, et le gros de notre armée du Nord ne rencontre aucune véritable résistance. Nos cavaleries chargent avec fanfare en tête. A ce rythme, il est probable que sur Brasov flotte à nouveau notre drapeau tricolore sous quinze jours seulement.
Cette fois, des "hourras" fournis fusèrent dans les rangs, et quelques hommes agitèrent leurs chapeaux. Lupus attendit un instant que tout se calme.
- Oui, oui, bravo à nos frères d'armes. Et Messieurs, je compte que nous soyons bientôt des leurs, et foncions également sur la ferme Nord-Est des russes. Ainsi, ils pourraient être bientôt encerclés de toutes parts dans une poche, et seraient contraints à revoir leur déploiement. La reddition ou la retraite est malheureusement peu envisageable, car ils disposent d'assez de réserves pour tenir longtemps même acculés dans une poche des Carpates : plus, en fait, que notre charroi ne pourrait nous en fournir.
Toutefois, sachez que même une demie-victoire, ici, serait une superbe victoire : ici, à quelques centaines de lieues seulement de la Pologne et de l'Autriche-Hongrie, nous pourrions infliger un revers à l'armée tsariste, tel qu'elle y perdrait son aplomb depuis trop longtemps conservé. Et que nos alliés, allemands et autrichiens surtout, seraient convaincus que nous sommes invincibles, et que la balance du Destin penche à nouveau en notre faveur.
Lupus se fendit de l'un de ces terribles sourires dont il avait le secret : le regard bas et sombre, un rictus cruel soulevant le coin des lèvres et découvrant ses dents d'ivoire, il était l'incarnation du tueur, du chasseur...
- Oui, Messieurs ! L'armée russe ploie sous nos coups ! L'Empereur voit sa Grande Armée marcher sous le soleil, comme lorsque à Austerlitz elle s'avança et détruisit les rangs adverses après que le soleil eut parût !
Souvenez-vous, mes camarades, mes frères : ici, dans ces montagnes abandonnées du monde, la Grande Armée va infliger un cuisant revers à Alexandre et ses bouffons, y compris cosaques ! Je compte donc sur vous pour que la Victoire nous enlève, et que nous volions sous ses ailes !!
Cette fois, un grand cri déchira la plaine, comme un grondement de tonnerre. Lupus salua sa troupe, puis tourna les talons. Vosgiens dû attendre deux ou trois minutes, que la clameur se calme, pour pouvoir appeler les officiers et distribuer les ordres de marche...
Les Loups retournaient dans le Grand Nord, leur terrain de chasse préféré, les crocs aiguisés, l'ardeur au cœur, alors que les parfaites conditions se réunissent... L'Hiver vient...