- * * * * * CHAPITRE 5 = MAVUVNIR * * * * *
Des marmonnements entêtants. Des pages qui se tournent. Des estomacs qui gargouillent. A n’en plus finir… A midi pile, les cloches de l’église venaient de mettre fin à l’office. Le cinquième de la journée, la quatrième seulement pour Mav’. Les Sirupeuses s’éparpillèrent, chacune retournant à son ouvrage.
La Communauté des Sœurs Sirupeuses tenait son nom d’une pratique ancestrale remontant au XVème siècle. Ivan III, plus connu sous le nom d’Ivan le Grand, avait interdit toute fabrication de boisson fortement alcoolisée. La décision du Grand Prince de Moscou avait provoqué du désespoir parmi les forces vives du pays. A MIR, les Sœurs avaient poursuivi la production de vodka sous le manteau, ou plutôt sous la robe. Officiellement, elles fabriquaient du sirop. Là où les autorités princières voyaient des barriques de sirop, les assoiffés de tout poil se régalaient bien de vodka. Le breuvage fut ainsi surnommé le sirodka. A notre époque, une église a été construite sur les fondations de la distillerie, l’église de Sirotka.
Toujours tirée à quatre épingles, Mav’ portait la toute nouvelle robe de sa communauté, celle avec un ruban de résille rose cousu sur la poitrine. Aucun de ses cheveux gris ne dépassait de sa coiffe. De son visage, on ne distinguait que ses yeux bleus, irradiant des pommettes légèrement saupoudrées de tâches de rousseur presque effacées.
Mav’ était le petit nom que lui avait donné le dernier homme qui avait partagé sa couche. En réalité, ils ne l’avaient pas atteinte tout de suite et l’affaire avait été consommée bien avant. Il y a des choses qui n’attendent pas. Ou des noms que nous n’avons pas le temps de prononcer entièrement. Elle n’avait partagé l’intimité de cet homme que quelques heures, qui comptaient des siècles pour elle.
Elle se souvient des odeurs de poulain et de chevreau qui flottaient dans la pièce. Tandis qu’il se rhabillait, il lui avait composé un chant d’une infinie poésie. Les paroles l’accompagnaient depuis tout ce temps.
J’ai crevé l’oreiller
J’ai dû rêver trop fort
Ça m’prend les jours fériés
Quand Gisèle clape dehors
J’aurais pas dû ouvrir
A la rouquine carmélite
La mère sup’ Mavuvnir
Dieu avait mis un kilt
Y a du avoir des fuites
Vertige de l’amour.
Depuis cette aventure, bien des substances avaient circulé dans les alambics de Sirotka. Dans cette paisible banlieue de MIR, Mavuvnir avait fait son chemin dans la vie. Une vie toute dévouée à l’amour… du Christ, jusqu’à se voir portée à la tête de sa communauté après 57 ans de présence.
La guerre avait bousculé les habitudes. Les incessants va-et-vient des deux armées n’étaient pas pour déplaire aux Sœurs, mais il fallait supporter toutes les misères engendrées par la guerre : les destructions, les pénuries, les morts…
A petits pas rapides, la mère sup’ Mavuvnir se dirigeait vers le réfectoire. Elle poussa la porte et alla s’asseoir près d’une novice. Elle ne supportait plus d’être seule à table, à subir les regards envieux de ses congénères.
Une fois le repas servi, elle se pencha insensiblement vers sa voisine et commença à chuchoter.
Sœur Gisèle, avez-vous l’objet ?
Un long moment s’écoula avant la réponse.
Oui.
Quelques bouchées plus tard.
Est-il en lieu sûr ?
Un léger frémissement parcourut la jeune none.
Oui, comme convenu.